S’il porte un coup dur à l’activité des boulangeries, le changement radical de la politique de l’Etat en matière de subventions risque d’avoir prochainement un impact sur le prix de la baguette, si ce n’est déjà le cas…La grève enclenchée et après, quelle sera la suite ?
Une grève inopinée des boulangeries est observée depuis hier, premier jour du débrayage de l’activité des artisans et maîtres boulangers qui va durer jusqu’au samedi 19 juin, trois jours durant.
Un boulanger-pâtissier contacté mais qui a tenu à garder l’anonymat a révélé que « les pâtisseries qui entravent la grève ne sont pas homologuées tandis que celles qui respectent la grève le sont formellement et inévitablement ». Un aveu personnel qu’il prolonge en affirmant que la grève est principalement due au non-versement des subventions sur la farine de la part de l’Etat depuis sept mois.
Principal motif de la grève même s’il n’est pas le seul. Dans une déclaration radiophonique, le président de la chambre nationale des boulangeries, Mohamed Bouanane, a indiqué que « ce débrayage intervient en signe de protestation contre les agissements des autorités concernées qui refusent d’accéder aux revendications des professionnels dans ce secteur qui compte 3.500 boulangers ».
Les boulangers réclament le versement de leur dû auprès de l’Etat estimé à 50 mille dinars pour chaque boulanger, et l’application de la loi organisant cette activité, en vue d’éradiquer les boulangeries anarchiques, apprend-on auprès d’autres sources.
Selon Bouanane, le taux de participation à cette grève a atteint 90 %.
Un chiffre qu’il est impossible de vérifier ou de confirmer sur le terrain tant le décor est alambiqué et la situation confuse et complexe.
Mais pour mesurer l’application stricte de l’ordre de grève générale du secteur de la boulangerie, on a parcouru les artères de la capitale où une flopée de boulangeries-pâtisseries ayant pignon sur rue étaient ouvertes.
Vers une flambée des prix ?
Il est onze heures en ce jeudi 17 juin ensoleillé et chaud, malgré tout, une file d’attente longue de dix mètres se dessine devant une boulangerie à l’angle de la rue de Marseille qui distribue du pain au grand bonheur des amoureux de la baguette. Le retour aux sources avec la traditionnelle « tabbouna » en la circonstance est plausible, même si elle est plus chère du reste à 350 millimes. Un citoyen qui préfère la tabbouna (pain rond) ou le mlewi (pain en forme de crêpe) à la baguette pense que « la grève ne va pas coûter cher aux boulangers qui gagnent suffisamment toute l’année 365 jours sur 365. » Mais la baguette a toujours la cote et se vend en quantité importante. Une dame, deux sacs aux bras, porte dix baguettes, cinq de chaque côté comme pour sauver sa famille de la « famine » (sic !). Après on se demande comment 900 000 baguettes de pains sont jetées chaque année en Tunisie même si la qualité de la farine bas de gamme utilisée est loin de tout reproche. Le pain local vendu à 220 millimes est parfois trop salé, s’abîme très vite et ne se conserve pas longtemps. Cela dit, les Tunisiens en raffolent et sont prêts à faire longtemps la queue devant une boulangerie dans l’espoir d’aquérir sa baguette. Les nerfs à vif, crispés, l’attente des clients est longue, très longue pour avoir les baguettes indispensables au repas de midi dans la cuisine tunisienne. Alors comment se fait-il que des boulangeries travaillent un jour de grève tandis que d’autres ne vendent pas le pain mais continuent d’écouler d’autres produits alimentaires comme les pizzas, les pâtés pour les salés et les biscuits et petits fours pour les sucrés ? Tant de questions et de mystères sans réponse autour de cette activité qui comprend trois catégories de produits : boulangerie, pâtisserie et viennoiserie ! On apprend également que les grévistes appellent notamment à la mise en application des accords signés le 13 juin 2020, et protestent contre les problèmes d’approvisionnement en matières premières et le manque en farine subventionnée. « Le malheur des uns fait le bonheur des autres », dit un célèbre adage car à Nabeul ou à Sfax, les spéculateurs ont tiré profit de la situation en écoulant du pain tabbouna à deux dinars dans la Cité des Potiers et 500 millimes dans la capitale du Sud. Incroyable mais vrai !
Photo : © Kouthier Khanchouch